[ARTICLE] : QUE DIT LA LOI?
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LECTURE SYNOPTIQUE DE L’ARRETE DU 27 SEPTEMBRE 2013 , PORTANT INTERDICTION DE L’IMPORTATION DES VEHICULES D’OCCASION DE PLUS DE TROIS ANS EN REPUBLIQUE GABONAISE: ANALYSE CRITIQUE.
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II- ANALYSE CRITIQUE L’ARRETE DU 27 SEPTEMBRE 2013
L'arrêté du 27 septembre 2013, portant règlementation de l’importation et réception des véhicules d’occasion au Gabon a donné lieu à un débat passionné entre les professionnels de l’occasion- importateurs et armateurs-, les transporteurs terrestres – taximen - et les autorités en charge de l’application du texte controversé.
Certains usagers ont vu dans la fermeté affichée par les services de l’Etat, la volonté de satisfaire les revendications de la puissante Union des représentants de l’automobile et de l’industrie.
Les concessionnaires traditionnels seraient-ils les véritables instigateurs de l’arrêté du 27 septembre 2013 ?
Dans un Etat ptoléméen, comme le Gabon, la loi est l’émanation de la volonté générale, elle ne saurait être l’expression de la volonté d’un groupe d’individus. Toutefois, la réalité étant souvent éloignée de la vérité, il est légitime de s’interroger sur les arguments avancés par le Gouvernement pour justifier sa réforme afin de mesurer les conséquences économiques et sociales d’une telle mesure.
A- Justifications de la réforme
L’arrêté ne donne aucune indication sur les motivations et les buts visés par la mesure de limitation à trois ans de l’âge des véhicules automobiles d’occasion.
Les rédacteurs du texte peuvent être exemptés de reproche à ce sujet. La loi gabonaise ne met pas à leur charge une obligation générale de motivation des actes administratifs, à l’exemption des décisions individuelles infligeant une sanction à l’administré. Ensuite parce que, la jurisprudence considère que lorsqu’ un texte le prévoit, l’administration a pour obligation de motiver ses décisions. Il n’en est pas ainsi en l’espèce.
N’étant pas assujettie à une obligation générale de motivation, l’administration doit expliquer aux administrés les buts de ses décisions pour des raisons d’effectivité et d’efficacité de l’action publique.
Dans le cas qui nous préoccupe, les autorités compétentes ont convoqué des réunions d’information et des conférences de presse dans le but de défendre la réforme. Il ressort des différents débats deux principales justifications de l’arrêté du 27 septembres 2013.
Justification sécuritaire et prévention des accidents de la circulation
Le premier argument avancé par l’administration pour justifier sa réforme se rapporte à la lutte contre les accidents de la circulation à Libreville et en province. Selon, les autorités compétentes, la limitation des importations aux véhicules âgés de trois ans va contribuer à lutter contre les accidents de la circulation. Cet argument est légitime. Le rôle des pouvoirs publics est de prévenir l’insécurité en recherchant, dans la mesure du possible, les solutions pour l’éradiquer. Si nous pouvons saluer la justesse de cette justification, de même, nous pouvons y mettre un petit bémol.
D’abord, au regard de l’article 2 de l’arrêté du 27 septembre 2013, seuls les véhicules d’occasion âgés de six (6) mois à trois (3) ans et ayant été vendus ou achètes en seconde main, peuvent être importés sur le territoire gabonais. Or une voiture acquise à l’étranger, chez un concessionnaire même âgée de plus de trois ans n’est pas au sens de l’arrêté un véhicule automobile d’occasion, dès lors qu’il n’a pas fait l’objet d’une revente depuis la date de sa première mise en circulation. En somme, les primo acquisitions à l’étranger (même âges de 10ans) ne sont pas des voitures d’occasion au sens du présent arrêté. De ce fait, ces véhicules peuvent être importés au Gabon. L’argument selon lequel « Le Gabon ne doit pas être la poubelle de l’Europe » qui y déverse ses déchets mécaniques ne tient pas la route.
Ensuite, c’est à bon droit que les rédacteurs de l’arrêté du 27 septembre 2013 ont expressément visé le Règlement n°04/01-UEAC 089-CM du 16 mars 2001, portant adoption du Code Communautaire de la Route des Etats de la CEMAC. L’incidence de ce Règlement en droit gabonais ne sera pas sans conséquence sur l’effectivité de la nouvelle règlementation gabonaise. Le Code de la route communautaire CEMAC introduit en droit gabonais deux dispositions qui auraient dû retenir l’attention des rédacteurs de l’arrêté. La première est relative à la Plaque d’immatriculation communautaire. L’article 78 du Code de la route communautaire précise les conditions d’établissement des plaques d’immatriculation communautaire et leur reconnaissance dans tous les Etats de l’espace CEMAC .
La seconde se rapporte à la Reconnaissance réciproque des certificats de contrôle technique. L’article 81 du même Code de la route communautaire, fixe les modalités d’établissement et de reconnaissance réciproques des certificats de contrôle technique délivrés dans un Etat de la Communauté .
Avec la reconnaissance réciproque des certificats de contrôle technique et l’admission communautaire d’une plaque d’immatriculation commune aux Etats de la CEMAC, les rédacteurs de l’arrêté du 27 septembre 2013 ont déshabillé Paul pour vêtir Jacques.
Enfin, il faut préciser que dans l’espace CEMAC, à l’heure actuelle, le Cameroun et la Guinée Equatoriale, n’ont pas adopté une mesure limitant l’âge des importations des véhicules automobiles d’occasion sur leur territoire respectif. Le risque de contournement de la législation gabonaise est évident. Avec la reconnaissance communautaire des certificats d’immatriculation et de contrôle technique, un véhicule automobile d’occasion âgé de plus de trois ans, importé de Belgique via un Etat membre, peut légalement entrer sur le territoire gabonais après avoir été préalablement immatriculé au Cameroun ou en Guinée Equatoriale.
On peut légitimement s’interroger sur la capacité à lutter efficacement contre les accidents de la circulation d’une mesure vidée de tout son sens.
Justification environnementale et sanitaire
Le second argument d’autorité avancé par l’administration pour justifier sa réforme est relatif à la protection de l’environnement et à la prévention des affections provoquées par les particules fines.
Selon l’administration gabonaise, Libreville, la capitale du Gabon, est devenue l'une des villes d'Afrique centrale la plus polluée. La source de cette pollution est la fumée rejetée par les voitures d'occasion. Les spécialistes craignent la multiplication des cancers des voies respiratoires. Déjà, on déplore la recrudescence de nombreuses maladies respiratoires. Ces arguments ne souffrent d’aucune contestation. Suffoquer sous d'épaisses fumées noires qui entourent voitures et piétons est une réalité quotidienne dans les rues de Libreville.
Toutefois, dans l’imaginaire collectif gabonais, la lutte contre l’environnement n’est pas prioritaire dans un pays qui a des besoins importants en matière d’éducation de santé public ou de logement.
Cependant, il faut souligner que si le Gabon est à juste titre considéré comme le poumon du monde, la préservation d’un environnement saint en milieu urbain n’est pas sans intérêt, elle est cruciale pour l’avenir des générations futures. D’ailleurs, si les pays développés comme la France, avaient su concilier les impératifs de développement industriel avec la maîtrise des enjeux environnementaux, ils ne seraient pas aussi pollués et leur population ne serait pas autant exposée à des affections multiples.
Cependant, la solution est-elle dans la limitation de l’importation des véhicules d’occasion ? La solution n’est-elle pas ailleurs ?
Le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), dans une enquête publiée à Nairobi, au Kenya a mis un accent particulier sur les impacts néfastes de l’essence à plomb et de certains produits artisanaux comme l’essence frelatée sur l’environnement des villes africaines au sud du Sahara. Ces deux produits sont utilisés au Gabon aussi bien par les propriétaires des véhicules automobiles d’occasion importées d’Europe mais surtout par les millions de véhicules automobiles usagés qui circulent dans les rues des villes gabonaises.
Dans la majorité des cas, ces véhicules « locaux » ne sont pas aux normes parce que souvent dépourvus d’un certificat de contrôle technique à jour ou encore, d’une attestation d’assurance en cours de validité. Il paraissait plus opportun de s’attaquer à ces problèmes en prenant des mesures fermes et non équivoques comme par exemple :L’interdiction d’utilisation de l’essence frelatée. A Libreville, la majorité des propriétaires de véhicules automobile et engins utilisent l'essence frelatée. Il s’agit d’une mixture produite de façon artisanale consistant en l’ajoute au carburant d’une forte dose d'huile pour moteur. Ce mélange explosif est à l’origine d’épaisses fumées noires fortement polluantes.
L’interdiction d’utilisation de l’essence à plomb. Selon le Programme des Nations unies pour l'environnement l'essence sans plomb représente, 90% de la consommation mondiale de carburant. Et les 10% que représente l'essence à plomb se concentrent dans les pays du sud. Surtout sur le continent africain dont le Gabon.
Le traitement régulier et efficace les ordures ménagères à Libreville.
Ces quelques pistes non exhaustives auraient pu éviter l’adoption d’une mesure impopulaire, dont les conséquences économiques et sociales ne sont pas encore toutes connues.
B- L’impact économique et social de la réforme
Aux termes de l’article 8 de l’arrêté du 27 septembre 2013, portant interdiction de l’importation des véhicules d’occasion de plus de trois ans en République gabonaise « les importateurs et les particuliers disposent d’un délai de deux mois pour se conformer aux dispositions du présent arrêté ». Malgré cette préconisation de l’administration, les importateurs et les revendeurs locaux de véhicules d’occasion ont dénoncé la brutalité de la mesure.
Pour la majorité des opérateurs économiques l’administration a voulu aller vite et les professionnels ont manqué de temps soit pour réorganiser leur activité, soit pour rebondir dans un autre secteur d’activité. Ce qui est sûr c’est que de nombreux commerces ont mis la clé sous le paillasson. Il faut dire qu’au Gabon, le marché de l’occasion est fortement tributaire des importations des véhicules automobiles en provenance d’Europe. Ce marché a connu un bond exceptionnel à Libreville. Selon les chiffres de la Direction générale des douanes 15000 à 20000 véhicules d’occasion entrent sur le territoire gabonais par an contre seulement 5000 véhicules neufs.
Aussi, la mesure édictée par l’arrêté du 27 septembre 2013 a un impact considérable sur l’activité économique nationale. A titre principal, des PME importatrices de véhicules d’occasion et les transporteurs terrestres vont se retrouver en difficultés financières. Par ricochet, les prix des transports en commun vont augmenter et le pouvoir d’achat des couches populaires va s’amenuiser avec les licenciements, accentuant ainsi le taux de chômage des jeunes.
Pour une catégorie de gabonais, l’achat d’un véhicule de seconde main est le seul moyen d’accession à la propriété d’un bien social, qui est encore considéré comme un luxe au Gabon.
Globalement, cette mesure touche directement ou indirectement les caisses de l’Etat. Malheureusement, la limitation de l’âge des véhicules automobile d’occasion ne sera pas sans conséquence sur les recettes des contributions directes et indirectes. Les importateurs paient des taxes et autres droits de douanes. Les professionnels exerçant sous la forme d’une personne morale de droit privé (Sociétés commerciales) ou en nom propre (Entreprises individuelles) sont des contribuables et l’exercice légal de leurs exploitations est une source de recette pour l’administration. De facto, la réduction des importations de véhicules d’occasion va considérablement affecter les recettes fiscales de l’Etat.
De plus, si la filière communautaire est exploitée, les professionnels de l’occasion vont migrés vers les Etats de l’espace CEMAC qui sont plus attractifs que le Gabon en matière d’importation des véhicules automobiles d’occasion.
Au Cameroun par exemple, à défaut de limiter l’âge des véhicules d’occasion autorisés à l’importation, le Gouvernement a décidé de réduire de 30% les droits de douane sur les véhicules neufs. Selon les autorités compétentes, cette décision a pour but de lutter contre les accidents de la circulation souvent dus à l’état défectueux des véhicules d’occasion. Une solution attractive et diamétralement opposée à la mesure gabonaise.
Le risque ici est de voir les fonds qui alimentaient les caisses de la douane gabonaise traversés le Ntem pour garnir les mallettes des douaniers camerounais . D’où la nécessité de suggérer en sus de la présente analyse des propositions d’aménagements de l’arrêté du 27 septembre 2013.
D’abord, en ce qui concerne la protection de l’environnement, nous proposons le maintien de la limitation de l’âge des véhicules automobiles d’occasion autorisés à l’importation sur le territoire gabonais. Aussi, nous suggérons de fixer cet âge à sept ans (7ans). Au motif qu’acheter en Europe, un véhicule d’occasion âgé de moins de trois ans revient à l’achat d’un véhicule neuf au Gabon, si l’on intègre le prix d’achat du véhicule, le coût du transport, les taxes et les droits de douane.
Ensuite, sur le plan personnel, l’arrêté peut être réaménagé avec l’introduction à l’article 3, d’une dérogation autorisant l’importation d’un véhicule automobile d’occasion âgé de 8 ans, pour le gabonais qui, après un séjour de plus de deux années (2ans) à l’étranger décide de rentrer définitivement au Gabon.
Enfin, cette mesure peut également s’appliquer à toute personne de nationalité étrangère qui, pour des raisons professionnelles est emmenée à résider au Gabon pendant plus de deux ans.
Persis Lionel ESSONO ONDO
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